La rumeur gagne en ampleur: les coupes budgétaires françaises toucheront aussi la Défense. Aussitôt, des voix se font entendre (notamment à droite): pas touche au prestige de la France. Sans son armée, expliquent-ils, notre pays perdrait de son poids au niveau international. Avec les exemples de la Lybie et du Mali, la preuve est faite: la France est une voix qu’on écoute dans le concert mondial, grâce à sa capacité de frapper directement ses ennemis, et la dissuasion nucléaire n’est pas sa seule arme. Ses troupes sont reconnues pour leur professionalisme et leur savoir-faire.
L’entrée en guerre de la France au Mali a été terrible cependant pour son image. Les soldats n’ont pu y aller qu’avec l’appui logistique de Britanniques, de Belges, de Danois et d’Allemands. Sans eux, la France n’aurait pas eu les moyens d’intervenir à temps et d’empêcher les terroristes de prendre Bamako. Les victoires rapides des troupes françaises ont montré que l’armée était bien préparée. Mais la France n’a plus les moyens logistiques de déplacer son armée sur le terrain du conflit rapidement sans les autres pays européens. Il faut en tirer les conséquences.
La réalité économique nous oblige à reconnaître que nous n’avons plus les moyens de nos ambitions. Pourtant la solution existe: s’il n’y a plus d’armée française, il faut une armée européenne! Voici cinq raisons qui devrait nous y pousser.
1/ La guerre a changé et nos ennemis d’hier aussi
Contrairement à l’époque où les pays d’Europe se faisaient la guerre, l’hypothèse de chars venant envahir l’Hexagone est devenue des plus farfelues. L’Espagne, le Royaume-Uni, l’Italie, la Belgique ou le Luxembourg n’ont plus de revendications territoriales qles poussant à venir occuper notre sol. Le projet européen est passé par là.
De plus, les conflits ont changé de nature. Il n’est plus nécessaire d’avoir forcément des bases au quatre coins de la France. Les terroristes d’Al-Qaïa ont frappé bien plus fort en touchant les tours du World Trade Center qu’avec leurs batailles sur le sol afghan. Même au Mali, les forces ennemies mènent une guerre d’agression pour user notre moral plutôt que de grands affrontements. Il est donc fondamental d’avoir une plus grande ressource de soldats, pour renouveler les troupes sur le théâtre des opérations. Les Etats-Unis ont une population de 315 millions d’habitants. Or, nous n’en avons moins de 70 millions… contre 500 millions en Europe.
2/ La mutualisation peut soulager l’effort miliaire de la France
Nous avons un problème pour financer notre armée. Elle représente 2,3% de notre budget national en 2011. Ce chiffre est important: nous dépensons plus pour nous défendre que pour construire l’Europe, où notre participation au budget se limite à 1% de notre PIB (sans compter que nous en récupérons la majeure partie grâce à la politique agricole commune et autres fonds européens). Cet investissement relève d’un choix politique.
Cependant, en mutualisant ses budgets militaires, l’Europe aurait mécaniquement plus de moyens à consacrer à son armée. Le budget européen représente à lui-seul pour 1% du PIB de chaque pays -126,5 milliards d’euros en 2011 par exemple. Or, nous avons dépensé la même année 31,2 milliards d’euros pour notre armée. Il suffirait que chaque pays européen donne 1% supplémentaire de son PIB pour que nous ayons trois fois plus de moyens pour notre armée (qui devrait cette fois défendre tout le continent). On réduirait ainsi de 1,3 points l’effort déployé par la France pour financer son armée…
3/ Nous pourrions nous défaire de l’hypothèque américaine
Chaque pays d’Europe a sa propre armée, même le Vatican. Mais ce n’est pas pour autant que les mêmes moyens sont accordés à chacune d’entre elles… En effet, l’effort militaire sur le continent européen est principalement assuré par deux pays: la France et le Royaume-Uni. Ceci est le fruit de l’Histoire, en partie. L’assurance de la protection de l’allié américain via l’OTAN en est une autre grande raison.
De fait, la plupart des pays européens comptent sur les Etats-Unis en cas de conflit sur leur sol. Notamment pour ceux situés à l’Est à proximité de l’ancien « protecteur » russe. Alors que l’administration Obama a de plus en plus le regard tourné vers l’Asie, la création d’une véritable armée européenne, enfin partenaire égale à celle américaine, serait accueillie avec joie à Washington qui cherche désespérément à mieux répartir ses forces sur le globe. Réduire au minimum leurs bases en Europe serait idéal. Nous ne serions également plus obligés d’attendre le feu vert américain comme à l’époque de l’ancienne Yougoslavie pour mettre fin aux massacresse déroulant à proximité de nos frontières…
4/ Il faut arrêter avec la concurrence entre nos armées européennes
Tout le monde se réjouit du dernier contrat signé par Airbus en France. On oublie que nous n’aurions pas les moyens de réaliser une telle entreprise en étant seuls. Imaginons qu’il y ait eu un Airbus français, un autre allemand et un autre anglais. Boeing aurait été la seule entreprise de taille pour empocher le marché…
Pour nos armées, on peut raisonner de la même manière. Au lieu de diviser nos équipes de recherches militaires par pays, nous serions avisés de mutualiser nos cellules grises. Dassault, EADS, BAE, Thalès, etc. Les entreprises produisant des armes vont perdurer, et il serait sain d’arrêter la course au plus bel avion entre armées britannique, française ou suédoise par exemple.
5/ Notre diplomatie aussi n’a plus les moyens de ses ambitions
Au-delà de notre armée, la diplomatie française aussi est au bord de l’asphyxie budgétaire. Même si Bercy et le Quai d’Orsay se sont toujours fait la guerre au moment du budget, les moyens de notre diplomatie ne sont plus en adéquation avec ce qui est demandé aux agents entrés dans la Carrière pour développer sur le terrain notre influence internationale. Or, une armée française exangue est une arme en moins pour notre diplomatie qui possède plus de 150 ambassades dans le monde.
D’autant plus que nous avons aujourd’hui une situation ubuesque: notre diplomatie est en concurrence avec celle du niveau européen, le Service Européen d’Action Extérieure (SEAE). Ce dernier, dirigé par la britannique Catherine Ashton, doit attendre que les diplomaties nationales se soient exprimées avant de pouvoir donner une position sur des dossiers brûlants, comme le Mali. Encore une fois, nos services se font concurrence sans pour autant nous tirer vers le haut. Diplomatie et armée sont liées. La France n’en a plus les moyens. Quel est dès lors le bon niveau pour exercer une influence importante? L’Europe…
Conclusion
La mutualisation au niveau européen de tous nos savoirs-faire nationaux nous donnerait les moyens de créer l’armée du XXIe siècle. Cette perspective européenne induit une dynamique… alors que la France, seule, est à l’arrêt, se demandant dans le même temps si elle a encore les moyens de son ambition militaire. L’Europe peut nous servir à nous projeter, profitons-en. Cela nous obligera à répondre à certaines questions.
Aucune armée ou diplomatie ne peut fonctionner sans un véritable pouvoir politique. Et ce n’est pas avec un Conseil européen mettant des mois à prendre des décisions qu’on aura un tel pouvoir…
Sources l’express.fr
30 août 2014
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